BLACK LIGHTNING: Blue Highways (2020)
Black Lightening, au départ, c’est le bébé de deux créateurs à haute énergie : le chanteur et guitariste Mark Jackson (Medicine Hat) et Richard East, producteur, compositeur et multi-instrumentiste très doué. Un projet qui continuait à vivre depuis 2010 en alternance avec Medicine Hat, au gré des emplois du temps et de la santé de chacun, depuis la parution du premier et remarquable EP du duo (« Burning Faith ») en 2011, plutôt orienté assez « heavy », à l’image de l’énergie haute tension de ses deux membres.
Malheureusement, la pile électrique Richard East est très vite, trop vite, touchée par la maladie, comme nous le signalions déjà dès la chronique du EP, et après des années de lutte, sa force bouillonnante a quitté ce monde à l’automne 2018, à moins de 52 ans, laissant un énorme vide. Déterminé à continuer l’œuvre de son ami, Mark Jackson a recruté un groupe de jeunes musiciens d'Ipswich pour terminer les chansons et les enregistrements et les sortir en concert, pour honorer la musique sur laquelle ils ont travaillé. Resté seul à la tête du projet, Mark nous livre ici la version studio des projets ébauchés avec Richard et travaillés au fil du temps, puis remaniés par la nouvelle équipe. Il fallait bien tout un groupe pour contrebalancer le vide immense laissé à tous les niveaux par le père East ! Si le EP reposait sur des influences plutôt « heavy », à part la fantastique ballade finale, ce CD explore d’autres rivages, comme le signale son titre : les autoroutes bleus sont passés quelque part dans les environs du Mississippi et le disque explore un autre mélange des eaux. Cela commence par un croisement pas mal fichu du tout entre blues-rock classique et rock sudiste avec un zeste de soul qui nous vante les bienfaits du blues. Doté d’un solo épuré, presque aérien, ce « Ridin’ With The Blues » entame les débats de façon fort agréable. Un excellent titre qui doit cartonner sur scène. Lui succède « Escape to Mexico », un redoutable blues poisseux à souhait à la ZZ Top, magnifié par la voix de Mark Jackson, qui n’a rien perdu de son intensité. La Telecaster gémit sur le destin du pauvre pêcheur, les téléphones portables s’allument dans la salle, et nous compatissons avec Mark sur le malheur de ces perdants voulant fuir leur sort…
Après une douce intro countrysante, « God In Heaven », le morceau suivant s’oriente progressivement vers une forme oratoire beaucoup plus intense qui monte progressivement avant que « She Keeps Runnin’ Away » ne nous ramène vers un blues-rock plus classique, sautillant, presque guilleret. Un morceau entraînant et bien foutu qui fait taper du pied. On enchaîne sur la reprise du célèbre « Statesboro Blues » de Blind Willie Mc Tell, grandement popularisé en son temps par l’ABB : un classique auquel la voix de Mark Jackson donne une personnalité toute particulière ainsi qu’un caractère d’hommage à Butch Trucks et Greg Allman. Owen Rees en profite pour briller tout en restant efficace, ce qui n’est pas toujours simple. Ça roule, ça bébé ! On s’énerve nettement plus avec « No Whisky », peinture d’une frustration intense qui nous rappelle les boogies les plus saoulants de Foghat… sans la slide, mais qui s’envole grâce à la répétition d’une petite montée chromatique suivie du solo de guitare passant d’une tonalité à l’autre avant que très habilement tout ne se recale frénétiquement dans la plus grande tradition. Bien joué ! Plus surprenant, l’équipe s’échappe ensuite dans un instrumental entraînant et original (« Things That Stings ») qui met en valeur une guitare alerte. Sympa !
Changement total d’atmosphère avec « All These Years », une de ces magnifiques ballades lyriques dont Mark Jackson semble détenir le secret. Avec la présence lumineuse en solo de Steve Loveday, voilà le titre à l’esprit le plus proche de Medicine Hat, et le résultat superbe nous entraîne sans coup férir dans l’univers mélodique irrésistible du morceau. Un vrai petit joyau aux somptueuses parties de guitare qui en plus se termine en solo avec une accélération de tempo bien connue des groupes sudistes avant la retombée finale ! Une réussite incontestable qui ne saurait occulter l’efficacité syncopée du hargneux « Black Lightning Woman ». Un morceau rentre-dedans de cette trempe, ça doit péter sur scène ! Les guitaristes s’amusent pendant que la rythmique bastonne mais en restant relativement aérée, grâce au jeu inspiré de Cam Jessop qui a le bon goût de laisser beaucoup d’espace. Joli !
Pour terminer, le groupe nous offre « Lonely Road » une deuxième ballade, tout aussi belle que « All These Years », mais déchirée, plus poignante que son alter-ego, dans laquelle Mark Jackson clame sa solitude, sans y trouver aucun sens. Eh oui, Bro, la route sera moins facile désormais sans l’énergie fraternelle de Richard. Mais cet album lui rend magnifiquement hommage : de là-haut, il doit apprécier qu’on puisse l’écouter, d’autant qu’il est de surcroît très bien produit par Steve Loveday, le pote producteur et jadis guitariste de Medicine Hat, tâche qui était une des spécialités de Robert pour le EP. La réussite globale du disque ne saurait quand même occulter une question cruciale : quel va être désormais le devenir du groupe maintenant qu’une de ses deux chevilles ouvrières nous a quittés et que l’autre poursuit sa carrière au sein d’un Medicine Hat bien lancé au sein du petit monde du rock sudiste ? En attendant d’avoir la réponse, jetez-vous sur cet album : même au bout de plusieurs écoutes, il n’a toujours pas livré tous ses secrets, on peut y redécouvrir des beautés cachées, des détails intéressants, ce qui prouve l’intelligence de sa conception, et surtout, l’intense plaisir des oreilles ne s’émousse pas au fil des écoutes. Alors pourquoi y renoncer ? Une fois rentré dedans, on a du mal à en sortir, à s’en séparer, une vraie drogue ! Vraiment, il doit en être heureux, Richard, si les notes de l’album parviennent jusqu’à son âme.
Y. Philippot-Degand